Le banc des menteurs

A Peynier se trouve un lieu chargé d’histoire et de légendes locales : le fameux « banc des menteurs ». Depuis des décennies, ce banc a été le point de rendez-vous incontournable des anciens du village. A l’origine, il était situé à l’entrée du village, à l’angle de l’avenue Mireille et de la rue Basse. Aujourd’hui, il trône fièrement sur la place Yves Dollo, juste en face du majestueux château de Peynier.

C’est sur ce banc que les anciens se réunissent, partageant des récits qui oscillent entre vérité et fiction. Chaque matin et après-midi, au gré des saisons, ces conteurs passionnés enchantent les passants et les curieux avec des histoires tantôt fantastiques, tantôt réalistes, mais toujours captivantes. Le « banc des menteurs » est bien plus qu’un simple siège ; il est le témoin vivant de la mémoire collective de Peynier, un lieu où le passé et le présent se mêlent dans un doux mélange de paroles et de rires.

Nous vous invitons à découvrir le récit humoristique relaté par l’un de ses occupants, Hervé Fichant.

Si un jour vous passez par Peynier vous y verrez un château qui fait la fierté de la population. Ah ce château ! Si il pouvait parler il vous dirait qu’au pied de sa tour nord il y a un banc et que sur ce banc siège une bande de retraités qui, à défaut de s’user au travail viennent y user leurs fesses. Ce ne sont plus des adultes dans la fleur quelque peu flétrie de l’âge, leurs articulations craquent comme craque le bois mort en forêt et leurs minois de jouvenceaux ne sont plus qu’un lointain souvenir mais ils ont su garder l’essentiel: leurs âmes d’enfants. Jamais avares de « compliments » nos joyeux drilles s’en donnent à cœur joie, ainsi tout y passe comme passent les automobilistes loin d’imaginer les sarcasmes dont ils sont l’objet. César, Escartefigue et Monsieur Brun font pâles figures à côté de nos congénères. Il ne manque plus que le pavé sous le chapeau, gageons que nos gredins seraient tentés d’essayer.

Il y a d’abord Félix, le plus imposant de tous, un ancien plombier. A défaut de déboucher les tuyaux il se charge de nous déboucher les oreilles. On se croirait au virage Nord les soirs de match contre le P.S.G. Quand il ne dort pas il taquine le cochonnet, enfin il essaye. Sur le terrain il est à mi-chemin entre César et Escartefigue, le tramway en moins. Il ne joue pas trop mal, la chance fait le reste.

Et puis il y a Fernand, son alter ego. Il était dans la marine et prétend avoir sillonné toutes les mers du monde sans qu’on sache si c’était à bord du ferry boat ou du pitalugue, ou tout simplement au bord de l’arc par temps de pluie. Il aime pousser la chansonnette encouragé par son copain Félix. Ces deux là sont redoutables. A leur contact toute personne non aguerrie est en danger. Individuellement ils sont inoffensifs mais en duo malheur à leur victime ! Le passant qui s’y risquerait repartirait la mine triste et l’échine courbée jurant qu’on ne l’y reprendrait plus.

Il y a aussi René qui trouve que la retraite ne lui a pas changé la vie forcément, dans son métier il tuait le temps sans se tuer à la tâche. Plus réservé il n’est cependant pas en reste quand il s’agit de déconnade. Quand nos compères marchent en colline il a son arbre préféré : un gros chêne sous lequel il ne rend pas la justice mais rend presque l’âme quand l’effort est trop violent.

J-C quant à lui est un mystère. On ne sait toujours pas si il a été cuisinier, coiffeur, aviateur, chimiste, pilote de char, électricien ou employé chez Jojo la turbine (Joseph Szydlowski ingénieur aéronautique). Peut-être était-il tout ça à la fois, un homme orchestre en quelque sorte : le Rémy Bricka de la bricole. Les mystères ont ceci de particulier qu’ils laissent la place aux doutes et aux interrogations.

Pauvre J-C qui n’a rien de commun avec le messie si ce n’est qu’il se fait crucifier quotidiennement par William, un ancien pompier qui n’éteint plus les incendies mais attise toujours le feu de la gouaille.

Gérard est le plus ancien du groupe. Il a gardé de son métier une santé de fer. Ardéchois d’origine il a préféré depuis bien longtemps la montagne de Cézanne à celle de Ferrat. C’est la mémoire vive du groupe, capable de faire revivre les vieilles pierres aussi bien que les vieilles mamies. Il est à l’image de M. Brun, l’air de rien mais s’amusant de tout, un peu pince sans rire mais volontiers taquin. Discret et réservé il n’en demeure pas moins un membre actif. Gérard se fatigue deux fois par jour : pour ouvrir et fermer les nombreux volets de sa maison et encore, seulement quand il pleut puisque sa femme s’y colle quand le temps est sec et qu’il est avec ses copains.

Et enfin il y a Hervé, retraité de la gendarmerie. Il a eu le malheur de s’asseoir sur ce maudit banc et de se faire accepter par la meute. Enfin « accepter » est un bien grand mot; avec ces gaillards il faut s’attendre à tout! Peut-être n’est-il qu’un malheureux François Pignon, allez savoir. C’était un gars formidable Hervé, respectueux de tout, humble et discret, bien sous tous rapports. Endoctriné par nos gais lurons c’est désormais une âme perdue. Son métier aurait voulu qu’il mette de l’ordre mais la cause était perdue d’avance, insurmontable. Le voilà désormais se roulant dans la fange goguenarde des copains du banc des menteurs.

Ami étranger, si un jour tu passes par Peynier pour y admirer son château ne t’arrête surtout pas au pied de la tour nord, il t’en couterait cher. Ou alors assure toi que le banc est vide, ce qui est rare. Dans ce cas tu verras juste derrière lui l’oratoire de la très expressive notre Dame de Lourdes qui donne l’impression de prier pour ces brebis égarées. Si le cœur t’en dit récite une prière mais surtout, surtout, ne t’avise pas de shooter dans un chapeau qui se trouverait par terre. Comme Jeanne d’Arc tu risquerais d’entendre des voix (ou plutôt des rires) et comme elle tu serais sacrifié sur le bûcher, celui dont la flamme est entretenue par nos facétieux compères.

Hervé Fichant

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